Naka
Volume 1
Chapitre 1 : Un monde après sa fin
Elle
le voulait. Elle voulait avoir un destin hors du commun, être
différente de tous ces autres êtres soi-disant humains. Elle
voulait servir sa terre et ses habitants. Elle l'aurait voulu.
Naka
a 10 ans. Elle est frêle et énergique. La petite fille court
partout et ne montre aucun signe de fatigue. Elle est cette tâche de
couleur qui persiste à exister dans un monde devenu noir depuis
longtemps. Elle connaît désormais tous les chemins et tous les
recoins de la ville. Synna, la capitale. Naka ne va pas à l'école,
personne n'y va plus depuis la Grande Dernière. De nos jours tout
s'apprend à la maison ou dans les rues sales de la capitale. Naka
fait partie d'une bande de petits chapardeurs qui passent leur temps
dans les bas quartiers. Du haut de sa décennie, Naka ne voit pas et
ne connaît pas plus que les rues de Synna, ses amis et sa famille.
Sa famille. Il n'en reste pas grand-chose de sa famille. Son père
travaille dans la grande mine au Nord et ne rentre presque jamais, sa
mère reste à la maison réduite à l'état de légume. Elle passe
ses journées sur une vieille chaise à bascule en bois rongé par
les mites de fer. Le dernier membre de sa famille est sa grande sœur,
Rolvia. Naka et elle ne se sont jamais aimées, c'est du moins ce que
cette dernière essaye de croire. La petite fille à également une
grand-mère qu'elle n'a jamais vu, alors elle ne l'a compte pas
vraiment comme un membre de sa famille. En vérité, elle se sentait
bien plus chez elle dans les rues de la capitale que dans sa vieille
bicoque en ruine au 155ème étage où ne régnaient que le silence
et la misère. La chaise de sa mère était un des rares meubles que
la famille possédait. Pour tout dire, la maison de la famille
Varkagn n'était constituée que d'une seule pièce de 15 mètres
carrés avec en tout et pour tout une chaise à bascule, une table
sans chaise, une vieille cheminée pleine de suie et un vieux tapis
jauni recouvert d'une épaisse couche de poussière. Les murs était
sales et décrépis, le sol recouvert de tâches immondes et de bois
pourri. Dans un siècle où la science faisait les progrès les plus
spectaculaires qu'on ait jamais vu, la maison de Naka faisait plutôt
tâche. Et pourtant elle était loin d'être la seule à vivre dans
un tel taudis à 70 mètres du sol. On devait cet écart si
incroyable à la Grande Dernière et aux nouveaux riches qui
s'accaparaient les dernières technologies.
La
Grande Dernière était la plus grande guerre que la terre ait
abritée. Sur plus de 9,6 milliards d'êtres humains, moins de 3
milliards y ont survécus. Un carnage sans nom, une horreur infinie
et des années à rebâtir un monde sombré dans le chaos. La Grande
Dernière a eu lieu il y a maintenant plus de 70 ans, mais les traces
et les conséquences de celle-ci sont toujours présentent. La
quasi-totalité de la planète avait été touchée par cette
inimaginable catastrophe humaine. Terres dévastées, animaux
disparus, il ne reste plus maintenant qu'une poignée de survivants
condamnés à vivre et à reconstruire cette planète mourante, voire
déjà morte. Si la Grande Dernière avait éliminée la plus grande
partie du poison de la société, ce dernier n'a pas tardé à
revenir. Désormais les dirigeants de cette nouvelle ère sont sans
pitié et avides, comme les précédents ils pompent la richesse de
la population affamée et crasseuse. Naka fait partie de la
génération appelée par ces dirigeants « la génération du
nouveau monde », car celle-ci ne connaît pas la guerre et
profite de ce « nouveaux monde ». Mais la petite fille
ignorait tout de ce qui pouvait bien se tramer dans les hautes
sphères de la capitale. Aujourd'hui c'était le jour du soleil, elle
se rendait donc chez Kax pour jouer au chapeau et à la souris.
La
nuit tombait très tôt les jours d'hiver, encore plus que les jours
d'été. Mais Naka prenait tout son temps, elle savait qu'on ne
l'attendait nulle part et elle tentait tant bien que mal de prolonger
au maximum sa visite chez Kax. Mais vint un moment où, comme
toujours, la petite fille se retrouvait seule dans les rues noires
avec pour seule compagnie le froid de la nuit et le silence de mort,
promesse d'un avenir certain. Elle marchait lentement, écoutant le
son de ses pieds frappant les pavés couverts de suie, qui résonnait
au loin. Elle levait la tête de temps en temps, pour voir si le ciel
avait prit une autre teinte que cet éternel obscurité, mais à
chaque fois elle ne voyait au dessus de ça jeune tête qu'un vide
infini. Un vide encadré d'immenses immeubles de plus de 4778 mètres
de hauts, voire plus 6666 mètres pour les immeubles de bureaux. Mais
dans le quartier où elle vivait les immeubles ne dépassait pas les
4778 mètres, signe de pauvreté en un sens. Arrivée au coin de la
rue, Naka appuya sur un gros bouton rouge, seule note de couleur dans
la nuit. Aussitôt le tax-montant apparu et elle grimpa. Les
tax-montant étaient en service bien avant la Grande Dernière et
furent remis sur le marché après, notamment grâce à leur très
grande utilité. C'était des espèces de mini monospaces en forme de
goutte d'eau futuriste qui permettaient de se rendre à n'importe
quel étage de n'importe quel immeuble dans n'importe quelle ville où
un bouton tax-appel était installé, et dont le prix de voyage était
inexistant. C'est comme cela que Naka rentrait chez elle au 1555ème
étage de l'immeuble des Etouffés, un nom qui lui allait à
merveille. Elle ouvrait la porte sans frapper et s'allongeait à même
le sol devant la cheminée allumée par Rolvia qui ramenait le bois
et le feu de son travail. Sa mère n'avait pas bougé, elle était
là, assise avec le regard vide sur son éternelle chaise à bascule
grinçante. Les traits fatigués, ses cheveux ondulants gris, sales
et emmêlés tombant en cascade sur ses épaules. La lueur du feu de
cheminée faisait encore d'avantage ressortir ses cernes et sa
maigreur, ainsi Naka ne la regardait jamais avant de se coucher de
peur d'en faire des cauchemars. Le lendemain matin, lorsqu'elle se
réveillait, Naka trouvait le feu éteint, sa mère sur sa chaise et
un morceau de pain rancit sur la table en guise de petit déjeuner,
pour manger à midi elle devrait se débrouiller.
Le
jour du feu était le jour où la petite fille allait au marché au
centre de la capitale. L'air y était sale et nauséabond, les gens y
venaient pour échanger des habits vieux comme le monde ou des objets
sans aucune valeur, certains encore échangeaient de la nourriture
pourrie ou rancit contre une autre un peu plus comestible. Naka
venait donc avec ses amis pour tenter de chaparder le plus de
provisions possible car c'était le seul jour où elle pouvait
trouver de la nourriture pour le reste de la semaine. Trop jeunes
pour travailler, les enfants étaient les premières victimes de
cette misère. Mais la petite fille luttait corps et âme pour
survivre, animée d'une volonté et d'une ténacité qui la
surprenait par fois elle-même. Les jeunes gens étaient à l'affût
du moindre morceaux, de la moindre nourriture à récupérer si elle
tombait par terre ou si elle pouvait être arrachée des mains. En
une heure, la petite bande amassa son butin et déguerpit en courant.
Une fois chez Fitjjum, leader autoproclamé, chacun vidait le contenu
de sa besace et les biens étaient répartis équitablement. Naka
avait beau être la seule fille du groupe elle n'en était pas traité
différemment pour autant et cela lui faisait chaud au cœur. Enfin
elle avait un endroit où on l'acceptait, où elle était la
bienvenue. Enfin un vrai foyer. Le soir en rentrant, Naka déballait
fièrement son butin sur la table et faisait des petits paquets pour
chaque membres de sa famille. Elle apportait une partie de ses
récoltes à sa mère et devant son inaction, la lui posait sur les
genoux. Revenant vers la table, elle fourrait sa part dans sa sacoche
et partait se coucher devant la cheminée sur le planché de bois
humide. Le lendemain, elle trouvait encore un paquet de nourriture
sur la table, celui de son père qui ne rentrait jamais, et du pain
rancit pour son petit déjeuner. Après le jour du soleil et le jour
du feu, suivait le jour gris. Le jour gris était généralement le
jour où il faisait le plus mauvais temps, ainsi il n'y avait
quasiment jamais personne dehors. Cela n'empêchait pourtant pas Naka
de sortir pour aller jouer avec ses amis.
Il
fallait faire très attention lorsque l'on jouait à 160 mètres au
dessus des pavés des rues de Synna. Mais les enfants étaient si
agiles que l'on pouvait les comparer à des singes. De plus, ils
fouillaient souvent dans les bennes municipales pour tenter de
dégoter des morceaux de câbles pas trop rouillés, de la corde ou
même des attaches en acier. Ainsi ils se confectionnaient une petite
ceinture avec tout un équipement pour faire de l'accro-câble,
qu'ils utilisaient pour jouer sur les câbles blindés de la capitale
qui s'étendaient d'un immeuble à l'autre et qui alimentaient la
ville en eau, électricité, chauffage, ondes nucléaire et encore
bien d'autres choses. Pour survivre il fallait savoir s'accrocher, au
sens propre, car cela pourrait toujours s'avérer utile si le besoin
d'échapper au force de sécurité devait se faire sentir un jour. Le
midi, Naka partait seule en direction du centre-ville, vers les beaux
quartiers. Comme personne ne sortait jamais le jour gris elle pouvait
se le permettre. Elle trouvait alors un coin chaud et sec pour
déjeuner. Un jour par chance elle avait même trouver un vieux
quignon noircit au beau milieu de la rue, et elle s'était fait un
festin avec un morceau de fromage a moitié moisi. Durant son maigre
repas, Naka aimait écouter la pluie tomber sur la pierre. Elle
trouvait ce son apaisant et pensait qu'il était la représentation
des sentiments de la Terre. La petite fille se sentait alors prise de
mélancolie et de tristesse, et elle se mettait à fredonner un air
aux couleurs délavées qui résonnait en écho dans les rues
désertes et sombres. La fin de matinée et l'après-midi étaient
les seuls moments qui variaient un peu tous les jours. Autrement le
matin et le soir était identiques. Pas une seule fois Naka ne
partait ou ne revenait chez elle en pleurant, elle savait que
personne ne la comprendrait et encore moins que personne ne la
réconforterait. C'est peut-être aussi pour cela que le jour du vent
était sans doute le préféré de Naka, même si s'était le seul
jour où elle ne voyait pas ses amis. Le jour du vent était le jour
du passage des grandes bourrasques de l'ouest. Un air doux et
enivrant. La petite fille se levait plus tôt que le reste de la
semaine et partait en direction de l'immeuble le plus haut de son
quartier. Elle prenait le tax-montant jusqu'au dernier étage et
grimpait pour arriver sur le toit. Là elle y passait la journée.
Elle s'allongeait, chantait, hurlait, riait, pleurait, sautait à
pieds joints et dansait face au vent. C'était très dangereux car le
toit de l'immeuble ne possédait aucune barrière et les rafales de
vent étaient violentes, atteignant parfois les 100 km/h. Ces jours
là Naka oubliait la réalité, elle ne faisait plus qu'un avec le
vent. Il était comme un complice, une moitié qui la comprenait et
jouait avec elle, caressant la moindre partie de son corps, glissant
sur ses vêtements sales et déchirés, fouettant son visage pâle et
maigre et peignant ses cheveux bruns emmêlés. Elle ne ressentait
jamais autant de bonheur et de liberté les autres jours.
Les
soirs des jours du vent, Naka était plus déprimée encore de
rentrer chez elle. Elle se disait que le jour de la pierre lui ferait
oublier ce court moment de joie.
Le jour de la pierre était jour de travail pour la petite fille.
Naka accompagnait discrètement sa sœur à son travail et l'aidait
le plus secrètement possible. Si on la découvrait, la petite fille
risquait de gros ennuis et sa sœur la peine de mort. Le travail des
enfants étaient interdit depuis des siècles, preuve d'évolution,
mais dans une ère ou la misère et la faim sont reines, le besoin de
gagner quelques ktagnes écrase la raison et la loi. Le ktagne est la
monnaie universelle depuis la Grande Dernière. Tous les rares
endroits de la planète encore habitables possèdent cette monnaie.
Il n'en n'existe plus d'autres. Naka travail avec sa sœur les jours
de la pierre depuis 3 ans. Son agilité et son sens de l'observation
ainsi que son instinct lui ont toujours permis d'éviter les ennuis
et de faire gagner un peu plus d'argent à sa sœur. De plus, la
petite fille passait facilement inaperçue car beaucoup de gamins
jouaient dans les usines. Rolvia, de ses 21 printemps travaille à la
mine de feu, à l'ouest de Synna. Le travail y est moins pénible
qu'à la grande mine au nord ou la mine de fer au sud, mais les
conditions de travail et le salaire ne sont pas meilleurs pour
autant. Ce jour là est le seul jour où la petite Naka parle avec sa
sœur et marche avec elle. Les deux sœurs seraient des étrangères
l'une pour l'autre si elles ne savaient pas qu'elles tenaient des
mêmes parents. Rolvia n'a jamais eu un seul mot gentil ou
réconfortant pour sa sœur cadette, et cette dernière n'a jamais
cherché à se rapprocher de son aînée. Elles cohabitent,
s'entraident à de rares occasions, se nourrissent, mais restent à
distance. Comme si la peur d'une relation fraternelle les empêchait
de s'aimer.
Le
jour de la pierre terminé, Naka et Rolvia reprennent leur vie, à
des milliers de kilomètres l'une de l'autre. Naka ne sait même pas
où sa sœur peut bien dormir, elle sait seulement qu'elle ne dort
pas à la maison avec elle sur le plancher. Le dernier jour de la
semaine est appelé le jour nouveau. On se demande bien pourquoi, car
il n'est en rien différent des autres jours, à part que personne ne
va travailler. Dans l'ancien temps, il correspondrait au dimanche, et
Naka déteste plus que tout autre le jour nouveau. Ce jour-là,
l'ensemble des habitants de la capitale se doivent d'aller sur la
Grande Place afin de regarder une vidéo grotesque sur l'importance
de travailler, de pourquoi nous sommes les survivants et les
responsabilités qui en découlent. Comme si les personnes présentes
avaient choisis d'être des survivantes, comme si Naka avait choisi
cette vie grise et miséreuse. Elle détestait le visage et
l'apparence soignée des hauts dirigeants qui proféraient de telles
ignominies. Elle pensait alors à son père qui se tuait lentement
mais sûrement au fond de ce trou béant dans la terre que l'on
appelait la Grande mine. La semaine compatit ainsi 6 jours, beaucoup
trop pour Naka. La petite fille avait eu la chance d'apprendre à
parler, lire écrire et compter grâce à son père et elle c'est
pour cela notamment que les membres de la bande la tenait en haute
estime. Ainsi elle comprenait les idioties qui étaient diffusées
sur l'écran géant tous les jours nouveau. Mais elle ne savait pas
encore combien elle avait raison de détester ces discours et elle
ignorait encore surtout le sens caché de cette mascarade. A 10ans,
Naka avait déjà l'impression d'être une grande, voire une vieille
personne tant elle comprenait le monde. Elle avait pitié de sa
génération, dont elle savait que presque aucun enfant ne savait
lire ou compter. La petite en voulait aux parents d'abandonner à
leur sort ces êtres venus au monde par désespoir et par peur de
disparaître sans laisser de trace. A 10 ans, Naka savait déjà
qu'une guerre aurait lieu dans les années à venir, et elle
connaissait déjà son camp.
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